Beaucoup d’abstentionnistes convaincus vont intervenir : un retournement historique est possible

Beaucoup d’abstentionnistes convaincus vont intervenir : un retournement historique est possible

PAR YANNIS YOULOUNTAS · PUBLIÉ 27/06/2024 · MIS À JOUR 27/06/2024

Depuis deux semaines, de nombreuses discussions ont lieu parmi nous, les abstentionnistes convaincus — qui ne votons jamais ou rarement — et j’observe une volonté résolue d’intervenir massivement comme jamais par le passé, pour un certain nombre de raisons qui débordent complètement le cadre électoral. Si cela se confirme dans le secret des isoloirs, le retournement de situation sera magistral début juillet.

BEAUCOUP D’ABSTENTIONNISTES CONVAINCUS VONT INTERVENIR : UN RETOURNEMENT HISTORIQUE EST POSSIBLE

Nous, les inquantifiables, les « objecteurs de sondages », les invisibles, les innombrables, nous voilà tout à coup en mesure de faire basculer la crise politique actuelle en une série d’événements historiques :

1- empêcher l’extrême-droite d’arriver au pouvoir, alors qu’elle est annoncée victorieuse ;

2- enterrer la macronie ;

3- choisir pour interlocuteur le nouveau front populaire ;

4- lui permettre, grâce à une majorité suffisante, de stopper immédiatement les grands travaux inutiles et nuisibles et d’annuler les lois antisociales des gouvernements précédents ;

5- dès lors, ne surtout pas relâcher la pression, descendre dans la rue, viser la grève générale, des occupations et des assemblées un peu partout, pour décider ensemble de la suite et construire le rapport de force ;

6- supplanter la peur, libérer l’imaginaire social, susciter l’envie d’agir, de prendre nos vies en mains et ouvrir de nouvelles perspectives.

Nous n’avons rien à craindre que la peur elle-même. Tout ce qui précède est à portée de mains. À condition de ne pas nous confiner dans une posture attentiste, têtue et stérile.

NE PAS ÊTRE ATTENTISTE

Habituellement, quand nous critiquons l’élection, c’est justement parce qu’elle correspond, selon nous, à une attitude attentiste de la part de ceux qui votent à l’égard de leurs élus qui, ensuite, font plus ou moins ce qu’ils veulent. C’est tout le contraire de la démocratie directe, de la recherche de consensus, de la décentralisation des lieux de décision au plus près de la réalité de la vie quotidienne et du principe d’horizontalité qui figurent parmi nos objectifs principaux pour organiser la société autrement.

Mais, exceptionnellement, ne pas intervenir alors que nous pouvons brusquement retourner la table serait une erreur. En laissant passer cet instant, c’est nous qui serions, à notre tour, dans une posture attentiste, face à la possibilité ratée d’un point de bascule.

Moi-même, je n’ai pas voté aux élections européennes comme la plupart de mon entourage. Il y a trois semaines, je n’imaginais pas un seul instant que nous allions nous trouver dans la situation actuelle. D’ailleurs, personne dans l’hexagone ne disposait de ma procuration, alors que je suis encore en Grèce pour plusieurs semaines, notamment au sein des luttes et des initiatives solidaires autogérées, ainsi que pour des projections-débats dans plusieurs villes.

LA FOULE AU CONSULAT DE FRANCE À ATHÈNES

De passage à Athènes, j’ai décidé, pour la première fois de ma vie, d’aller au Consulat de France pour transmettre à quelqu’un le pouvoir de voter à ma place les 30 juin et 7 juillet. Maud a fait de même, tout comme Cyril et Nathalie qui sont encore avec nous, avec leur fourgon, et qui n’ont voté qu’une seule fois dans leur vie. Notre amie cinéaste libertaire Anne B. nous a rejoint, elle aussi, au Consulat de France à Athènes, pour effectuer la même procédure. Sur place, il y avait continuellement du monde. On parlait librement entre nous, on se comptait et le résultat le voici : nous étions tous venus pour faire exactement la même chose, c’est-à-dire empêcher l’extrême-droite d’arriver au pouvoir tout en virant la macronie. Certains d’entre nous portaient des tee-shirts et des badges évocateurs. Une femme brune silencieuse nous souriait avec un regard complice, arborant discrètement un badge avec un A cerclé sur son sac. Une autre avait un autoc 1312 parmi ceux collés sur le dossier cartonné entre ses mains. Puis, juste avant de quitter le consulat, un jeune spectateur de nos films est entré et nous a reconnus, vêtu d’un tee-shirt noir frappé d’une étoile rouge. Nous l’avions déjà croisé à Exarcheia. Il s’est approché de nous et s’est exclamé : « ça fait bizarre de se retrouver ici, mais ça fait plaisir aussi, car ça veut dire qu’il va se passer quelque chose ! ».

Oui, il va se passer quelque chose. Cela sera-t-il suffisant ? Difficile à dire. Mais ce qui est certain, c’est qu’il y aura une surprise, un flot difficilement quantifiable, un bond imprévisible qui pourra aider à faire la différence. En discutant dans nos réseaux, nous ne comptons plus le nombre d’initiatives similaires, ici et ailleurs. En fait, pour faire vite, mieux vaut compter ceux qui n’envisagent pas, pour l’instant, d’intervenir ! Je vous avoue que je n’ai jamais vu ça par le passé !

Cette fois, ce ne sont pas seulement des anti-électoralistes qui ont fait le choix personnel d’intervenir, ce sont aussi des groupes anarchistes ou autonomes tout entiers, des collectifs antifascistes ou révolutionnaires résolus à ne pas laisser le RN arriver au pouvoir. Même l’Union Communiste Libertaire a appelé à voter. Idem pour le réseau Contre-Attaque, dont les textes diffusés ces jours-ci sont particulièrement intéressants, ainsi que Les soulèvements de la terre devenus pour la circonstance Soulèvement antifasciste, sous toutes les formes. On ne compte plus les collectifs qui montent au créneau, d’heure en heure, d’une façon ou d’une autre.

CERTAINS ANNONCENT LEUR DÉCISION D’INTERVENIR, D’AUTRES PRÉFÈRENT RESTER DISCRETS

D’autres collectifs et individus ont choisi le silence, mais n’en pensent pas moins, faisant le choix d’intervenir avec force, mais sans mettre des mots sur leurs actes à l’unisson. Certains en parlent et d’autres préfèrent ne pas le dire publiquement, mais, à ce que je vois, l’ampleur de cette participation est sans précédent.

Jusqu’ici, faire barrage à l’extrême-droite était une décision très problématique pour beaucoup de mes compagnons d’utopies. D’abord parce que le RN n’était pas aussi près de la victoire, mais aussi parce que l’autre bulletin de vote encore en lice était frappé du nom de Macron (aux Présidentielles de 2017 et 2022, après Chirac en 2002). Aux yeux de certains, il s’agissait d’un piège : le pouvoir se servait d’un épouvantail, en l’occurrence de sa variante la plus autoritaire et raciste, pour tenter de nous contraindre à le soutenir, à renier nos idées, à choisir la peste plutôt que le choléra.

Mais cette fois, les perspectives sont complètement différentes et le manipulateur en chef est sur le point de prendre son boomerang en pleine figure. Une nouvelle perspective est en train d’émerger, malgré les cris d’orfraie des animateurs télé dans les médias du pouvoir. Certes, cette perspective n’est pas aussi originale et radicale qu’on nous la présente, mais elle a le mérite de beaucoup de choses.

Le premier point, et non des moindres, est d’empêcher l’extrême-droite d’arriver au pouvoir, alors qu’elle est annoncée victorieuse pour la première fois : on sait d’avance les conséquences désastreuses et violentes d’une telle accession au pouvoir. Dire qu’on n’a « jamais essayé » relève soit de la méconnaissance de l’Histoire et de la géopolitique, soit de la mauvaise foi. Enterrer la macronie serait le deuxième effet immédiat. En choisissant pour interlocuteur le nouveau front populaire, cela permettrait, s’il a une majorité suffisante, de stopper immédiatement les grands travaux inutiles et nuisibles et d’annuler les lois antisociales des gouvernements précédents. Tout cela signifie déjà beaucoup de changements en quelques jours.

MAIS SURTOUT, NE PAS COMMETTRE L’ERREUR GRECQUE DE 2015 !

Ce n’est pas tout. Ce qu’il faut éviter à tout prix, c’est que les électeurs de la gauche française ne commettent pas la même erreur que leurs homologues grecs en 2015. Rappelez-vous : heureux de la victoire de Syriza aux législatives de janvier 2015, beaucoup des électeurs de Tsipras s’étaient contentés de suivre la suite des événements devant leur télé au lieu de descendre massivement dans la rue, à Athènes comme ailleurs. Ce n’est qu’au mois de juin, bien trop tardivement, que certains ont commencé à comprendre leur erreur fatale et ce qui allait arriver. Au final, le storytelling médiatique a tué dans l’œuf tout projet de rapport de force. La base sociale était restée endormie, comme chloroformée par les rêves illusoires d’un changement par le haut. Le réveil fut brutal pour beaucoup : un véritable choc, un coup de massue et, comme le résument très bien certains, il a fallu plusieurs années pour s’en remettre.

Le mouvement social grec aurait du se rappeler l’exemple des grèves de mai et juin 1936 en France, alors même que l’union de la gauche venait à peine d’être élue, coupant la route aux ligues fascistes qui rêvaient de reproduire l’ascension de Mussolini et d’Hitler. La mobilisation puissante dans tout l’hexagone avait réussi à construire un rapport de force historique pour exiger beaucoup plus que ce qu’il y avait dans le programme du Front Populaire (à commencer par les deux premières semaines congés payés qui ne figuraient pas dans le programme) et pour imposer ces changements importants à un capital paniqué par le durcissement imprévu de la situation. Dommage qu’en Grèce, cet exemple historique n’ait pas été un modèle ! Ou mieux encore : un tremplin vers la socialisation des moyens de production et d’autres changements audacieux.

Bref, les bulletins de vote, aussi nombreux soient-ils, ne feront pas tout. Si l’extrême-droite et la macronie se retrouvent provisoirement dans les cordes, mais qu’il ne se passe rien ou pas grand chose dans les mois qui suivent, il est absolument certain que nos pires ennemis prendront facilement leur revanche, tant la déception sera grande dans la base sociale devant le maigre résultat.

LA SEULE FAÇON DE SORTIR DE L’IMPASSE

La seule façon de mettre à distance ces fantômes du vieux monde et de sortir de l’impasse, c’est de construire un vrai changement : profond, radical, joyeux et créatif. L’imaginaire social doit pouvoir s’émanciper et passer à l’action, partout. Nous devons sortir de notre position de spectateur de la fin du monde : basculer du spectacle mortifère à la réalité de la vie.

En face de nous : outre la classe dirigeante et ses valets, qui forme le gros des troupes ? Une masse de gens déconnectés de la réalité. Des villageois qui ont peur des immigrés dans des campagnes pourtant désertes, à force de regarder Cnews. Des crétins qui répètent autour d’eux les éructations nauséabondes de la bande à Hanouna ou qui s’abrutissent mutuellement devant des contenus TikTok à longueur de journée. Des groupies qui trouvent que Bardella est plus beau qu’un autre, sans jamais examiner ce qu’ils ont vraiment dans le crâne. Des trolls qui avalent et recrachent partout le confusionnisme sur les réseaux sociaux. Des habitants de lotissements qui ont peur de prendre des coups de couteau dans leurs petites villes dortoirs pourtant dépourvues de criminalité.

Ces gens, pour la plupart, vivent dans un monde irréel et sont nourris d’illusions mortifères.

Je ne dis pas qu’ils ne souffrent pas, pour certains, de la misère ou du déclassement. Mais s’ajoute à cette souffrance éventuelle, une dimension complètement factice, une opinion fabriquée, une attitude réactionnelle stimulée de la pire des manières par des apprenti-sorciers qui les éloignent de la réalité des problèmes et des solutions, c’est-à-dire de la réalité de la vie.

C’est cet amour de la vie qu’il faut massivement retrouver dans les temps qui viennent : cet amour de la différence, de l’égalité réelle, de la liberté d’autrui et de soi-même. Ce désir de vivre libre ensemble, de vivre vraiment, de vivre passionnément, en créant un autre futur, à l’inverse de la logique actuelle de la société autoritaire et mortifère.

80 ans après le régime de Vichy, les maquis courageux et les combats antifascistes les armes à la main, ce n’est pas un petit bulletin de vote qui va me fouler le poignet ou me trahir vis-à-vis de mes compagnons anarchistes. Au contraire, il est à mes yeux impossible de ne pas intervenir dans une telle situation. C’est sans hésiter que je vais participer, avec beaucoup d’autres, à cette vague inquantifiable pour le nouveau front populaire qui, peut-être, permettra de faire la différence au soir du 7 juillet.

Et le lundi 8 juillet, quoi qu’il arrive, le pire ou le meilleur, la suite dans la rue.

Yannis Youlountas

(texte libre d’usage, comme toujours, pas besoin de demander si vous voulez le publier où bon vous semble)

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